Tribunal administratif, 6ème Chambre, Bordeaux, Jugement nº 2100352 du 17 octobre 2022, Requête nº 30475
INTÉRÊT LIMITÉ AUX PARTIES
TEXTE
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 22 janvier, 6 décembre et 28 décembre 2021, Mme F E, M. B A, Mme D A et M. C A, représentés par Me Brassier, avocat, demandent au tribunal :
1º) de condamner la commune de Lanton à leur verser solidairement une somme de 2 464 euros en réparation de leur préjudice financier, ainsi qu'à chacun une somme de 20 000 euros au titre de leur préjudice moral résultant de la destruction de la concession funéraire familiale et de l'exhumation de la dépouille d'Eric A ;
2º) de mettre à la charge de la commune de Lanton une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- alors que la concession funéraire dont ils sont titulaires sur le terrain nº 134 bis du cimetière de Lanton a été renouvelée par arrêté du 14 septembre 2018, ils ont pu constater en juillet 2020 qu'à la suite de travaux effectués dans le cimetière sans aucune surveillance leur concession avait été complétement détruite et la dépouille d'Eric A, leur père ou compagnon, avait disparu ;
- la responsabilité de la commune de Lanton est engagée sur le fondement de l'article L. 2213-8 du code général des collectivités territoriales et du règlement intérieur du cimetière, à raison de la carence du maire à leur garantir une jouissance paisible de leur concession funéraire et plus précisément à surveiller les travaux effectués à l'intérieur du cimetière et à les prévenir des dégradations ;
- ils ont subi un préjudice moral qui peut être évalué à 20 000 euros ; ils peuvent également se prévaloir d'un préjudice financier, correspondant aux frais funéraires pour 1 594 euros et aux frais de concession pour 870 euros.
Par des mémoires et pièces complémentaires enregistrés les 5 novembre et 14 décembre 2021 et 4 mars 2022, la commune de Lanton, représentée par la cabinet Cazcarra et Jeanneau, avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des consorts E et A une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est une erreur de l'opérateur funéraire qui est à l'origine de la réalisation à tort de travaux de reprise sur la concession funéraire nº 134 bis et de l'exhumation de M. A ;
- seule la responsabilité de l'opérateur funéraire peut en conséquence être engagée.
Par ordonnance du 7 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 24 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Molina-Andréo, première conseillère ;
- les conclusions de Mme Passerieux, rapporteure publique,
- les observations de Me Brassier, représentant les consorts E et A,
- et les observations de Me Safar, représentant la commune de Lanton.
Considérant ce qui suit :
1. Eric A, compagnon de Mme F E et père de M. B A, Mme D A et M. C A, était inhumé depuis le 14 avril 1988 dans une concession du cimetière de Lanton, référencée nº 134 bis. Cette concession a été renouvelée à la demande de M. B A pour une période de 15 ans, à compter du 14 septembre 2018. Dans le cadre d'une opération de reprise d'une concession funéraire voisine abandonnée, à l'été 2020, il a été procédé par erreur à la destruction de la concession et à l'exhumation de la dépouille d'Eric A. Par la présente requête, Mme F E, M. B A, Mme D A et M. C A demandent de condamner la commune de Lanton à leur verser solidairement une somme de 2 464 euros en réparation de leur préjudice financier, ainsi qu'à chacun une somme de 20 000 euros au titre de leur préjudice moral. Sur la responsabilité de la commune :
2. Aux termes de l'article L. 2213-8 du code général des collectivités territoriales : " Le maire assure la police des funérailles et des cimetières. ". Aux termes de l'article L. 2213-9 du même code : " Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l'ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu'il soit permis d'établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort. ". Aux termes de l'article L. 2223-13 du même code : " Lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. /() ". Aux termes de l'article L. 2223-14 de ce code : " Les communes peuvent, sans toutefois être tenues d'instituer l'ensemble des catégories ci après énumérées, accorder dans leurs cimetières : / 1º Des concessions temporaires pour quinze ans au plus ; / 2º Des concessions trentenaires ; / 3º Des concessions cinquantenaires ; / 4º Des concessions perpétuelles. " Enfin, aux termes de l'article L. 2122-22 dudit code : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / 8º De prononcer la délivrance et la reprise des concessions dans les cimetières ; / () ". Il incombe ainsi à l'autorité municipale d'assurer la surveillance et l'entretien des cimetières, et, dans le cas de travaux confiés à des intervenants autorisés à rentrer dans leur enceinte, de veiller par des mesures appropriées au respect de l'intégrité de l'ouvrage public et des concessions qui s'y trouvent. Le maire doit veiller à ce que les bénéficiaires de concessions funéraires et leurs ayants-droit ne puissent être troublés dans l'exercice exclusif de ce droit d'usage et de jouissance et ce, pendant toute la durée de validité de ces titres.
3. Il est constant qu'il a été procédé à la destruction de la concession nº 134 bis et à l'exhumation d'Eric A qui y était inhumé, alors que cette concession avait été renouvelée pour quinze ans par un arrêté du 14 septembre 2018 et qu'aucun membre de la famille n'avait fait de demande en ce sens ni donné son accord. Le maire de la commune de Lanton a ainsi commis une faute dans l'exercice de ses pouvoirs de police des cimetières de nature à engager la responsabilité de la commune. La circonstance que le dommage résulterait d'une erreur de l'entreprise d'opérations funéraires à l'occasion de la reprise d'une concession funéraire voisine abandonnée n'est pas de nature à exonérer la commune de Lanton de sa responsabilité. Il lui appartiendra, si elle s'y croit fondée, de rechercher le cas échéant la responsabilité de l'entreprise d'opérations funéraires devant la juridiction compétente.
Sur la réparation :
4. Alors même que le gérant du cimetière de Lanton a attesté de ce que la dépouille d'Eric A a été localisée et qu'il est possible de la réintégrer dans la concession familiale, les consorts E et A sont légitimes, au regard de la perte de confiance ressentie, à vouloir inhumer la dépouille d'Eric A dans un autre cimetière. Ils justifient de devis de 1 594 euros et 870 euros en vue d'une nouvelle inhumation dans une concession située au cimetière de Camps. Par suite, il y a lieu de leur allouer solidairement la somme de 2 464 euros en réparation de ce préjudice matériel.
5. Par ailleurs, les requérants ont été affectés par la destruction de la concession funéraire où était inhumé leur père ou compagnon et par l'impossibilité de se recueillir sur la tombe de celui-ci jusqu'à sa nouvelle inhumation. Ils ont ainsi subi, du fait de la faute commise par la commune de Lanton, un préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation, en leur allouant, à chacun, une somme de 1 500 euros.
6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérant sont fondés à demander la condamnation de la commune de Lanton à leur allouer solidairement une indemnité de 2 464 euros en réparation de leur préjudice matériel et à chacun la somme de 1 500 euros en réparation de leur préjudice moral.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Lanton une somme de 1 500 euros à verser solidairement aux requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants le versement de tout ou partie de la somme que demande la collectivité défenderesse au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : La commune de Lanton est condamnée à verser solidairement à Mme F E, M. B A, Mme D A et M. C A la somme de 2 464 euros en réparation de leur préjudice matériel.
Article 2 : La commune de Lanton est condamnée à verser à Mme F E la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral.
Article 3 : La commune de Lanton est condamnée à verser à M. B A la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral
Article 4 : La commune de Lanton est condamnée à verser à Mme D A la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral
Article 5 : La commune de Lanton est condamnée à verser à M. C A la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral.
Article 6 : La commune de Lanton versera solidairement à Mme F E, M. B A, Mme D A et M. C A la somme de 1 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 8 : Le présent jugement sera notifié à Mme F E, à M. B A, à Mme D A, à M. C A et à la commune de Lanton.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Delvolvé, président,
Mme Molina-Andréo, première conseillère,
Mme Mounic, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2022.
La rapporteure,
B. MOLINA-ANDRÉO Le président,
Ph. DELVOLVÉ
Le greffier,
A. PONTACQ
La République mande et ordonne à la préfète de la Gironde en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
Observations service juridique Groupe ELABOR :
Dans cet arrêt, les juges administratifs rappellent qu’un Maire est responsable, au titre de ses pouvoirs de police des cimetières, des troubles et éventuels dommages causés au sein du cimetière par une entreprise de pompes funèbres intervenant sous son contrôle. Cet arrêt illustre l’importance pour les communes d’avoir des documents de gestion interne à jour afin qu’elles puissent ensuite délivrer les autorisations nécessaires, au regard des contrats de concession.
Source : Lamyline
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