Jurisprudence : Décision de la Cour administrative d'appel de Douai

Le cimetière 02/06/2021 12:12 903
Jurisprudence :  Décision de la Cour administrative d'appel de Douai

Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 13 avril 2021, 19DA02102

Numéro d'arrêt : 19DA02102

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée Innovent a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 14 janvier 2016 par laquelle le préfet du Pas-de-Calais lui a refusé l'autorisation d'exploiter trois éoliennes sur le territoire de la commune de Vermelles et de lui délivrer cette autorisation d'exploiter ou à défaut d'enjoindre à l'Etat de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 1602128 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de procéder au réexamen de la demande d'autorisation.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2019, et un mémoire enregistré le 7 janvier 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Innovent devant le tribunal administratif de Lille.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me A... B..., représentant la Société Innovent.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. La société Innovent a déposé, le 16 septembre 2013, une demande d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie mécanique du vent et regroupant trois aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Vermelles. Le préfet du Pas-de-Calais a refusé, par un arrêté du 14 janvier 2016, de délivrer l'autorisation ainsi sollicitée. La ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 5 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé ce refus et a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de procéder au réexamen de la demande d'autorisation.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Le jugement attaqué a indiqué qu'il " ressort des pièces du dossier que le projet est situé à cinq kilomètres des terrils de Mazingarbe ainsi que de la fosse de Loos-en-Gohelle et de ses terrils jumeaux et à deux kilomètres de la cité pavillonnaire Sainte-Elie ", éléments du bassin minier classé au patrimoine mondial de l'UNESCO et qu'il " ne ressort pas des pièces du dossier que la co-visibilité des éoliennes situées à plusieurs kilomètres de ces sites, de nature industrielle, serait de nature malgré leur hauteur, à créer un effet d'écrasement des perspectives ".

4. La ministre de la transition écologique n'est ainsi pas fondée à soutenir que ce jugement, qui n'avait pas à répondre expressément à tous les arguments avancés par les parties, était insuffisamment motivé en ce qui concerne la prise en compte de la qualité du site inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO sur lequel l'installation de production d'énergie est projetée et en ce qui concerne l'évaluation de l'impact du projet sur le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges, tiré de l'erreur d'appréciation dans l'application de l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

5. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Aux termes du I de l'article L. 181-3 du même code : " L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas ".

6. Il résulte des dispositions citées au point précédent que, pour statuer sur une demande d'autorisation d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement, il appartient au préfet de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et des monuments et ne porte pas atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants.

7. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage ou à la conservation des sites et des monuments de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

8. D'une part, il résulte de l'instruction que si le projet doit s'implanter sur des parcelles situées à l'est de l'agglomération de Vermelles, les communes d'Auchy-les-Mines et d'Haisnes se trouvant au nord et celle de Loos-en-Gohelle au sud, et si le site retenu se situe ainsi en plein coeur du bassin minier, le terrain d'assiette du projet se trouve lui-même dans un secteur d'agriculture intensive, très anthropisé, où existent déjà, notamment, des voies de communication, des lignes à haute tension ou des hangars agricoles. Ce secteur, sans relief particulier, à l'exception des terrils issus de l'exploitation minière, ne présente donc pas d'intérêt spécifique sur un plan paysager.

9. D'autre part, le projet est situé à proximité de sites de la première guerre mondiale et notamment du cimetière militaire de Quarry, des cimetières militaires britanniques de Saint Mary's Advanced Dressing station, de Ninth Avenue et de Bois-Carré et du mémorial canadien de Vimy. Ce projet doit ainsi être regardé comme devant s'implanter dans un environnement qui n'est pas dénué de tout intérêt, au sens des dispositions citées au point 5, même si ces cimetières ne font l'objet d'aucune protection au titre des monuments historiques.

10. Toutefois, le cimetière militaire le plus proche du parc éolien, soit celui de Quarry, à 680 mètres de l'éolienne n° 1 et à 1 100 mètres de l'éolienne n° 3, est situé légèrement en contre-bas, ce qui limite considérablement la visibilité des éoliennes à partir de ce site. Les cimetières militaires britanniques de Saint-Mary's Advanced Dressing station, de Ninth Avenue et de Bois-Carré sont situés quant à eux entre 1 100 et 1 200 mètres de l'éolienne la plus proche, soit l'éolienne n° 3. Il résulte des nombreux photomontages de l'étude paysagère et patrimoniale jointe à la demande d'autorisation que l'implantation des éoliennes en litige, compte tenu de ces distances et du léger encaissement du cimetière de Quarry, ne créera pas d'impact visuel incompatible avec la destination de ces sites et l'intérêt de leur environnement immédiat. Si les éoliennes seront également visibles depuis le mémorial canadien de Vimy, cette visibilité est considérablement réduite par la distance d'environ 12 kilomètres les séparant de ce site. En outre, la perspective offerte à partir de ce site est déjà marquée par des éléments d'anthropisation ainsi qu'il a été dit au point 8.

11. Dans ces conditions, le projet litigieux ne portera pas atteinte au principe de conservation des sites et perspectives monumentales, alors même que les éoliennes mesurent 139,38 mètres pour l'une et 144,38 mètres pour les deux autres et qu'elles sont en co-visibilité avec ces sites depuis les axes de circulation ainsi que depuis les habitations des communes.

12. Enfin, le projet est situé à proximité du périmètre du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis juin 2012 en tant que " paysage culturel évolutif vivant " et, en particulier, à 5 kilomètres des terrils de Mazingarbe ainsi que de la fosse de Loos-en-Gohelle et de ses terrils jumeaux et à 2 kilomètres de la cité pavillonnaire Saint-Elie de Hulluch.

13. Toutefois, cette inscription au patrimoine mondial n'a pas pour objet d'empêcher l'évolution de ce territoire historiquement à vocation industrielle et il résulte des photomontages de l'étude paysagère mentionnée au point 10 que la visibilité des éoliennes à partir des terrils jumeaux de Loos-en-Gohelle, situés à environ 5 kilomètres, sera très faible et que, compte tenu notamment de cette distance, les zones offrant une co-visibilité entre ces éoliennes et ces terrils jumeaux ainsi que les terrils de Mazingarbe seront très réduites, cette co-visibilité étant très peu marquée. Il n'est aussi pas établi que les éoliennes seront visibles depuis le site de Notre-Dame-de-Lorette, situé à plus de 10 kilomètres du projet, ni qu'une forte co-visibilité existera entre les éoliennes et ce site.

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 10 que, contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé fondé le moyen tiré de l'erreur d'appréciation commise par le préfet du Pas-de-Calais dans l'application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement ci-dessus reproduites.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 14 janvier 2016 du préfet du Pas-de-Calais ayant refusé à la société Innovent de délivrer l'autorisation d'exploitation sollicitée et a enjoint au préfet de procéder au réexamen de la demande d'autorisation.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Innovent de la somme de 1 500 euros sur le fondement les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la ministre de la transition écologique est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la société Innovent une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et à Me A... B... pour la société Innovent.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

N°19DA02102

 

Source : https://juricaf.org/arret/FRANCE-COURADMINISTRATIVEDAPPELDEDOUAI-20210413-19DA02102

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